Chronique

Le mauvais message

Je n’ai jamais été une grande admiratrice de l’idée qu’une entreprise extérieure arrive au cœur d’une société en contournant les consensus, en faisant fi des règles du jeu en place, en cassant les prix de tel ou tel service, pour enrober finalement le tout de justifications basées sur sa modernité, mais aussi sur sa nature technologiquement apatride d’un point de vue réglementaire et fiscal.

Cela dit, je ne suis pas du tout une grande fan des gouvernements et des partisans du statu quo qui ne voient pas la nouveauté et la demande de nouveauté s’imposer, et donc la nécessité de s’y adapter.

Quand des centaines de milliers de Québécois téléchargent une application pour avoir des services de transport différents, c’est parce qu’il y a un besoin, une demande.

L’internet et les applications sur les téléphones transforment pratiquement tous les secteurs économiques tous les jours. Il est incontournable de se mettre au boulot pour adapter les lois, écouter les doléances, bouger, renouveler les règles du jeu. Dans les transports comme ailleurs.

Avec son attitude actuelle et passée dans le dossier Uber, le gouvernement du Québec donne l’impression que le changement est trop difficile à gérer pour lui.

Conséquence, il envoie partout à l’extérieur du Québec un message non pas uniquement de frilosité – et il est normal de ne pas faire d’à-plat-ventrisme devant les multinationales –, mais aussi de paralysie.

Comme un parent qui interdit tout ou permet tout à ses enfants quand arrive une nouveauté technologique parce qu’il ne comprend pas ce qui se passe, plutôt que d’essayer de saisir de quoi il retourne pour ensuite imposer des balises adéquates et sur mesure.

Donc, qu’envoie-t-il aux investisseurs technos du monde entier ? Un bien mauvais message. C’est la Chambre de commerce du Montréal métropolitain, la Fédération des chambres de commerce du Québec et les jeunes libéraux qui le disent.

Et Montréal International, qui a été mandaté pour piloter la candidature de la métropole pour le nouveau siège social d’Amazon, n’est pas du tout heureux de la situation non plus, est-il nécessaire de le préciser.

« C’est sûr que ça n’aide pas », m’a confié hier Christian Bernard, l’économie en chef et vice-président aux communications en entrevue. « Ça n’envoie pas un bon signal. »

« Nous, on aime mieux les annonces d’investissements étrangers que les annonces de départ. On espère vraiment que les parties réussiront à s’entendre. »

Difficile de trouver que tous ces gens n’ont pas raison.

Et je suis convaincue que personne parmi eux ne croit qu’Uber est un ange. Et que personne n’a envie de mettre tous les chauffeurs de taxi traditionnels sur le carreau.

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Dans un communiqué publié hier après l’annonce de la décision d’Uber qu’elle pliait bagage le 14 octobre si une entente n’était pas conclue avec le gouvernement sur des modalités d’opération, le président de la Chambre de commerce, Michel Leblanc, a expliqué sa déception de façon limpide.

« Cette décision, si elle devait se confirmer, devra être analysée comme un constat d’échec. Pendant que Montréal se positionne comme une terre d’accueil pour les entreprises innovantes, l’incapacité de moderniser le cadre réglementaire pour permettre à Uber d’opérer au Québec lance un très mauvais signal aux start-ups d’ici et aux investisseurs qui fournissent le capital de risque. Le choix du gouvernement d’autoriser des projets pilotes constituait pourtant une avenue prometteuse pour créer un environnement concurrentiel et innovant à l’avantage des usagers. Il semble que le ministère des Transports a du mal à répondre rapidement et avec souplesse aux demandes des nouveaux joueurs. »

Tout me semble là : la lenteur, le manque de flexibilité, j’ajouterais le manque de vision, de modernité…

Les jeunes libéraux, par voie de communiqué eux aussi, sont allés droit au but vendredi.

« Les jeunes libéraux croient que les restrictions sévères imposées par le gouvernement auront un effet néfaste pour la réputation du Québec auprès des entreprises de technologie. Les jeunes libéraux invitent donc le ministre [des Transports Laurent] Lessard et les différents acteurs à retourner à la planche à dessin pour trouver une solution équitable pour tous qui saura démontrer l’ouverture du Québec à l’innovation. »

Ce n’est pas fréquent que les jeunes du parti prennent ainsi position aussi ouvertement contre les dirigeants à Québec.

Il fallait vraiment qu’ils soient exaspérés.

Et il y a, effectivement, matière à l’être.

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Montréal est actuellement dans un bon élan. Partout, on parle de sa croissance et de sa modernité, de sa vitalité, de sa qualité de vie abordable, de ses universités accessibles. Particulièrement dans le domaine des nouvelles technologies.

Il y a 15 ans, on se trouvait formidables avec notre nouveau secteur des jeux vidéo, des effets spéciaux.

Aujourd’hui, on est ailleurs, bien plus loin, en sciences, en informatique, en biotech, et la ville est devenue un tel pôle en intelligence artificielle que Facebook a choisi récemment d’y ouvrir un laboratoire de recherche fondamentale en apprentissage machine.

Mais ce genre d’impulsion est fragile. Montréal n’est pas Londres. Si la capitale du Royaume-Uni dit non à Uber, elle n’en ressentira pas les effets auprès des investisseurs technos de la même façon qu’ici.

Montréal est dynamique et remplie de gens qui veulent la faire bouger et qui réussissent à déplacer des montagnes.

Est-ce vraiment le temps que dire au reste du monde qu’on n’est juste pas capable de faire face à une entreprise qui secoue nos taxis à l’ancienne ?

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